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mardi 9 juillet 2013

Négligence criminelle à Lac-Mégantic, par Tristan Tremblay


     Lac-Mégantic. Petite municipalité tranquille du Sud-est québécois. Dans la nuit de vendredi à samedi, le temps s’arrête. Un train de la Montreal, Maine & Atlantic Railway (MMA) dont les 73 wagons sont remplis de pétrole et autres substances inflammables explose en plein milieu de la ville. La journée suivante, le Québec entier est en deuil. Une catastrophe qui a peu d’équivalents dans l’histoire québécoise. Dès les premières analyses de la chronologie de la catastrophe, l’erreur humaine sera pointée du doigt. En effet, le conducteur aurait oublié d’activer les freins du véhicule, stationné en haut d’une pente de 13 kilomètres de profondeur qui mène au cœur de la ville. Ce matin, dans Le Soleil, on apprend que le PDG de la compagnie mère (Rail World) pointe du doigt les pompiers, qui auraient facilité l’incendie à coup d’erreurs logistiques.

     Foutaise!

La catastrophe vue de l'espace, photo de la NASA
     Si demain matin, un corps est trouvé criblé de balles au centre ville de Montréal, et que les spécialistes en balistique de la police démontrent sans l’ombre d’un doute que les balles provenaient d’un fusil enregistré a votre nom, on vous arrêtera immédiatement pour vous interroger et subtiliser ce jouet dangereux de votre possession. Et la plupart des gens, incluant moi, trouvent ça tout à fait logique.

     Comment se fait-il donc que le PDG de la MMA et celui de la Rail World ne soient pas en train d’être interrogés par la SQ et la GRC en ce moment même? Ils sont pourtant les propriétaires humains de ces compagnies, qui causent des morts. 

     Pas des dégâts environnementaux, même s’ils sont déjà assez graves lorsqu’ils surviennent. Des morts. Des dizaines de morts. Présentement la SQ n’en dénombre que 13, mais la cinquantaine de personnes manquant toujours à l’appel nous laisse facilement deviner la suite.

Edward Burckhardt
     Par-dessus tout ça, on apprend aujourd’hui qu’Edward Burckhardt, PDG de la Rail World, celui-là même qui refuse toute responsabilité en la mettant sur le dos des autorités locales est le père de la ‘’one-man crew’’, une doctrine visant à informatiser les systèmes des trains pour qu’un seul homme soit nécessaire pour les faire fonctionner. Tout ça, pour vouloir sauver de l'argent à une compagnie qui fait déjà des millions en profits annuellement. Vendredi soir, celui qui était responsable du train était assoupi dans un hôtel au moment de la tragédie. Doit-on le blâmer, comme feront probablement plus tard ses patrons? Non. Va-t-il s’en vouloir toute sa vie pour ce tragique incident? Bien sûr. Il ne m'est même pas nécessaire d'ajouter que la MMA est connue pour son lot d'accidents, partout ou ses trains sont en opération


     Mais qui est vraiment à blâmer pour ces pertes de vies humaines? Les compagnies responsables, et leurs normes de sécurité ridicule. Comment peut-on possiblement laisser une bombe de cette ampleur à proximité d’une ville, en marche et sans surveillance? Les dirigeants de ces entreprises devraient passer le restant de leurs vies en prison pour négligence criminelle, mais à l’insignifiance de notre système judiciaire, il est plus probable qu’ils aient à verser le montant d’une amende qui n’équivaudra même pas à 10% de leurs profits annuels.

dimanche 7 juillet 2013

Révoltes et conflits internationaux #1 : La Turquie d’Erdogan, par Colombe Claveau

      Le parti islamiste pour la justice et le développement (AKP) du premier ministre Recep Tayyip Erdogan gouverne la Turquie depuis sa première élection en 2002. Il a remporté à trois reprises les élections turques; celles de 2002, de 2007 et de 2011 avec une confortable avance. Sous son mandat, l’économie de la Turquie a récupéré de
la récession financière et de la crise de 2001 grâce, entre autres, à un boom de la construction. Depuis qu’il est à la tête du pouvoir, et particulièrement depuis 2011, il instaure peu à peu et avec une omniprésence marquée un programme islamiste, après avoir préalablement affaibli l’influence laïque de l’armée turque. Erdogan a également mis en place une série de restrictions sur les droits de l’homme, notamment en ce qui a trait à la liberté d’expression et à la liberté de la presse, malgré les améliorations en ce qui concerne le processus d’adhésion à l’Union européenne. En effet, depuis 2011 l’AKP a considérablement réduit la liberté d’expression, la liberté de la presse, l’utilisation d’Internet, le droit à la commercialisation de l’alcool, le droit à l’avortement, le contenu télévisuel, ainsi que la liberté de réunion. La position du gouvernement sur la guerre civile en Syrie est une autre cause de la tension sociale dans le pays. L’AKP a aussi développé des liens avec les groupes de médias turcs, afin d’en profiter pour utiliser des mesures légales et administratives (incluant, dans le cas de la Holding Dogan [compagnie turque opérant dans plusieurs domaines allant de l’énergie au commerce et au tourisme] une taxe de 2,5 milliards de dollars) contre les groupes de médias critiques et les journalistes critiques : au cours de la dernière décennie, l’AKP a construit une coalition informelle et puissante, d’hommes d’affaires affiliés au parti et de médias dont la subsistance dépend de l’ordre politique que M. Erdogan est en train de construire. Ceux qui résistent le font à leurs propres risques. « Silence des médias sur les tentes qui brûlent, les gaz lacrymogènes envoyés par la police, l’humiliation des canons à eau… Le jour où cette violence de la police éclate, les chaines d’informations diffusent des documentaires, des émissions de cuisine. » témoigne une journaliste de NTV.

      Le gouvernement est perçu comme de plus en plus islamiste et autoritaire, et il ne s’en cache pas. En 2012, le parlement a voté une réforme de l’éducation qui consistait à renforcer les enseignements islamiques dans les écoles publiques primaires ainsi que dans les collèges et les lycées. Le premier ministre se défend en expliquant qu’il voulait élever une génération pieuse. Certaines personnes ont même été emprisonnées pour blasphème! Sans oublier la décision politique de fermer le musée Sainte-Sophie d’Istanbul pour en faire une mosquée qui a suscité la controverse au sein des communautés progressistes (Mustafa Kemal Atatürk avait converti la mosquée Sainte Sophie pour en faire un musée en l'an 1934), alors que cette décision n’était pas soutenue par d’éminents leaders musulmans de Trabzon. Il est évident que les méthodes auxquelles à recours Erdogan ne sont ni adaptés à la société Turque actuelle, ni aux « six principes d’Atatürk » qui sont à la base de l’occidentalisation du pays.

      Le discours prononcé par Erdogan lors de la cérémonie d’inauguration du pont Yavuz Sultan Selim (dont le choix du nom avait été contesté par une grande partie la population) le 29 mai, fut fort révélateur de sa méthode pour contrer les personnes s’opposants à son projet de réaménagement : « Quoi que vous fassiez, nous avons pris notre décision et nous allons la mettre en œuvre », se référant à la décision du gouvernement d’abattre les arbres du parc Gezi de la place Taksim. Le premier ministre, au lieu de consulter le peuple dans le but de trouver une entente avec les contestataires a plutôt opté pour une répression brutale des manifestants. Son projet consistait à construire une réplique de la caserne militaire de l’époque ottomane, Taksim (qui avait été démolie en 1940) qui contiendrait un centre commercial. « Les manifestations sont un tournant pour l’AKP. Erdogan est un homme politique très confiant et très autoritaire, qui n’écoute plus personne. Mais il doit comprendre que la Turquie n’est pas un royaume, et qu’il ne peut pas s’imposer à lui tout seul, à Istanbul, depuis Ankara. » (Koray Çaliskan, politologue à l’Université du Bosphore d’Istanbul)

        Présentement, les manifestations sont incessantes en Turquie, et les gens réclament le départ de celui qu’ils nomment dictateur; Recep Tayyip Erdogan. Le premier ministre a entamé un projet qui consiste à raser le parc afin d’y faire construire un énorme centre commercial ainsi qu’une mosquée neuve. Pour une grande partie de la population, le fait que le projet a obtenu carte blanche sans consultation publique objective et sans tenir compte des lois en vigueur fut l'élément déclencher de leur protestations. Les manifestations s’entamèrent et prirent rapidement expansion. Jusque-là, elles étaient entièrement pacifiques et se déroulaient principalement dans le parc Gezi. Puis le premier ministre ordonna une répression violente de ses manifestations; il donna l'ordre qu’on fasse évacuer le parc de tous contestataires. Les forces de l’ordre utilisèrent des moyens drastiques afin de forcer les indignés à quitter le parc : canon à eau, gaz et grenades lacrymogènes et mêmes des tirs sur les manifestants, sans compter les coups de matraque et les violentes arrestations allant parfois jusqu’à causer de graves blessures aux manifestants (plusieurs ont perdu leurs yeux suites à une trop longue exposition aux gaz lacrymogènes). Ce mouvement d’indignation qui ne cesse de prendre de l’ampleur est d’autant plus révélateur que la solidarité qui se dégage des regroupements; les protestataires viennent d’horizons très variés, et les revendications sont nombreuses et diversifiées. On y retrouve des partisans de droite aussi bien que de gauche, des nationalistes turcs ainsi que des Kurdes. Durant les affrontements, on peut voir des jeunes revendiquant le retour de la laïcité, le corps couvert de tatouages venant en aide à des femmes voilées, victimes de gaz lacrymogènes. Les vidéos largement diffusés à travers les médias sociaux montrent la brutalité excessive des policiers, mais aussi les gestes de solidarité exemplaire qu’ont les manifestants les uns envers les autres. Ils se battent ensemble, côte à côte afin de renverser le dictateur corrompu. Les revendications des manifestants vont des préoccupations environnementales locales aux revendications des limitations de vente d’alcool, à l’interdiction de démontrer son affection à l’autre par des baisers dans les transports publics à Istanbul, à la guerre en Syrie, à l’islamisation de la Turquie par Erdogan, et surtout au départ du premier ministre.

      Pourtant, rien n’est vraiment venu à bout des manifestants qui continuent encore aujourd’hui à sortir dans
les rues pour revendiquer leurs droits. Au départ, les manifestants s’étaient emparés du parc Gezi et de la place Taksim puis des rues de la capitale. Maintenant les revendications sont nombreuses partout à travers le pays; Ankara, Bursa, Izmir, Adana, Mersin, Eskisehir, Samsun, Trabzon, Konya et Bodrum, plus d’une quarantaine de villes sont touchés. Il faut comprendre l’enjeu politique qui se joue en Turquie, car bien que les médias affirment qu’il ne s’agit que d’une histoire d’aménagement provoquant des indignés, cet évènement vient seulement concrétiser les craintes de la population. Le parc Gezi est un des derniers emplacements verts de la ville. En effet, depuis la prise du pouvoir par Erdogan en 2002, ce dernier tente par tous les moyens d’islamiser ce pays, pourtant reconnu pour sa laïcité et son droit à l’exemption de l’éducation religieuse dans les écoles. Depuis qu’il est au pouvoir, Recep Tayyip Erdogan a multiplié les réformes liberticides. Plusieurs de ses obligations briment les droits de la femme; l’avortement est considéré comme un crime pour Erdogan, l’exhortation faite aux femmes d’avoir au moins trois enfants et même le rouge à lèvres est interdit pour les hôtesses de l’air. Ce qui inquiète le plus; les dérives du gouvernement, surtout dans une Turquie qui est pourtant très attachée à sa laïcité. Les cours de religions auparavant interdits sont devenus obligatoires à l’école et le port du voile est maintenant autorisé à l’Université. Il est évident pour tous que sous l’emprise d’Erdogan, l’islamisation de la société est en marche. La Turquie est déchirée en deux : d’un côté les laïcs, et de l’autre les conservateurs et défenseurs du premier ministre. Dans certains quartiers pro-islamistes, son image est affichée partout, et certains l’acclament haut et fort. Pourtant, depuis environ deux ans un nombre inquiétant de journalistes se sont fait jeter en prison, les empêchant ainsi de diffuser actuellement via les médias traditionnels. Ils ont été menacés de différentes manières, la principale étant de couper leur financement, qui dépend beaucoup des financements publics. Une chose est sûre, les manifestations en Turquie ne laissent personne indifférent; à travers le monde, plusieurs s’accordent à dire qu’à partir du moment où les intellectuels et les journalistes sont emprisonnés, c’est un signe inquiétant qu’il y a un lourd problème dans le pays.

       En début juin, la 1re Cour administrative a fait annuler le projet d’aménagement urbain de la place Taksim en affirmant que la population locale n’avait pas été consultée pour ce projet. Le tribunal a expliqué son jugement par le fait que le plan du directeur du projet viole les règles de préservation en vigueur et l’identité de la place Taksim et du parc Gezi. Pourtant cette décision n’a été rendue publique que cette semaine, et fut accueillie comme une victoire par certains des opposants au projet qui désirent reprendre le contrôle de leur parc. Le premier ministre avait déclaré dans le plus fort de la crise, le 14 juin, que son gouvernement respecterait la décision finale de la justice et qu’il suspendait les travaux d’aménagement, « jusqu’à un jugement définitif », a-t-il précisé. Malgré cela, samedi le 6 juillet après une courte période de calme, quelque 10 000 manifestants se sont rejoint une fois encore sur la place Taksim pour réclamer la démission du premier ministre et afin de commémorer l’assaut de la police dans le parc Gezi de la semaine dernière. La police affirme que durant les trois premières semaines de juin plus de 2,5 millions de personnes sont descendues dans la rue. Selon l’association des médecins turcs, ces manifestations ont causé quatre morts et environ 8000 blessés. Aujourd’hui la répression de ce mouvement a valu à Ankara, et particulièrement au premier ministre Erdogan un grand nombre de critiques venant de partout à travers le monde. Un sondage mené par le cabinet privé KONDA sur un échantillon de 4411 manifestants, 50,9 % sont des femmes. Aussi, 35,6 % d’entre eux participent aux manifestations tous les jours, et 31 % affirment y faire acte de présence depuis le début des manifestations. Pour ce qui est des motifs qui les poussent à descendre dans la rue, 58,1 % dénoncent les atteintes à la liberté, 37,2 % s’opposent à l’AKP et à sa politique, 30,3 % y vont en réaction aux propos et déclarations de Recep Tayyip Erdogan, et 20,4 % y sont pour l’écologie. Bien entendu plusieurs sondages ont été faits dont les cas et les pourcentages divergents selon l’échantillon et la période durant lesquelles ils ont été effectués.


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